Uber et la uberisation des esprits

Avec la nouvelle économie, on dirait toujours qu’il y a deux mondes qui s’affrontent.

Le nouveau capitalisme de la nouvelle économie, parce qu’il a été fondé par des geeks à l’apparence cool et décontractée, serait un capitalisme cool et décontracté. Un capitalisme innovant, capable de soulever des montagnes et changer le monde, capable d’offrir des nouveaux pouvoir aux gens et donc, capable d’apporter du bonheur et de la liberté à tous.

L’ancien capitalisme ou l’ancienne économie serait un capitalisme méchant, arquebouté sur ses possessions et ses territoires, ses anciennes habitudes et qu’il est de bon ton, parmi les gens de la nouvelle économie, de critiquer et de souhaiter la mort.

Ce qui est fascinant dans le comportement des gens qui font partie du monde numérique et de ses jeunes startup et entreprises (et dont je fais partie), c’est leur béatitude bienveillante face aux monstres de la nouvelle économie et notamment à ces nouvelles entités qui sont valorisées plusieurs milliards de dollars à peine créées en bousculant des règles depuis longtemps établies. Uber en est l’archétype, mais il y a aussi AirBNB, Google, Amazon forcément, et toutes les autres entreprises fondées sur le partage et prélevant une dîme sur la mise en relation des offreurs et des acheteurs. Des places de marché gigantesques sont en train de se mettre en place et ces sociétés sont en train de s’enrichir à la vitesse grand V créant de nouvelles opportunités permises par les nouvelles technologies.

Le problème n’est pas tant dans le fait de bousculer les marchés et les habitudes. C’est la nature du capitalisme de le faire. Et c’est tant mieux. Sans sa « sauvagerie » et sa « brutalité » naturelle, les économies seraient ternes, atones, comme au temps de l’Union Soviétique, et la société n’en serait que plus immobile. Elles sont donc le sel de l’économie et sa force vive.

Le problème réside ailleurs :

– Dans la nature presqu’exclusivement Nord Américaine de ce nouveau capitalisme

– Dans sa rapidité dévastatrice, inédite, permise par les nouvelles technologies. Jamais des sociétés aussi puissantes ne s’étaient formées aussi vite dans l’histoire de l’économie

– Dans son arrogance, son manque patent de morale et son mépris total pour tout ce qui n’est pas de la Silicon Valley (pour caricaturer un peu)

Et en réalité, ce à quoi nous assistons, c’est réellement à une guerre économique brutale entre les Etats-Unis et l’Europe, dans laquelle l’Europe est en train de se faire bouffer la gueule sans réagir ou presque. Le nombre de victimes risque d’en être extrêmement élevés, surtout du côté européen (une guerre où les morts sont remplacés par des chômeurs).

Qu’on ne s’y trompe pas, les services d’uberisation qui sont partis à la conquête de l’Europe sont en train de ravager les économies européennes.

Que ce soit dans l’hôtellerie, le commerce (avec Amazon), les transports et d’autres, des milliers d’emploi sont en jeu, parce que ces grandes sociétés américaines se jouent des frontières et des règlementations européennes avec une effronterie sans borne. Seule la désunion des européens permet cela.

Ne payant que très peu d’impôts en Europe, marchant allègrement sur des législations longtemps mises en place, ces sociétés américaines font du profit, non seulement en détruisant des emplois, mais en ne payant aucune taxe là où l’argent est gagné. Et cela, presque en toute impunité.

On peut admirer leur agilité technologie, leur talent d’innovation, leur capacité à bousculer les idées. Mais on ne doit pas oublier que tout cela n’est que le versant brillant d’une face obscure qui est faite d’un capitalisme extrêmement cruel, puissant et profitant en toute impunité de la désunion européenne.

Dans la lutte d’Uber contre les taxis, on ne peut donc pas condamner les taxis d’un coup de crayon en les traitant d’arriérés mentaux qui défendraient un pré carré fait d’archaïsme et d’ignorance. On doit bien voir qu’Uber détruit des règlementations, des règles qui avaient été mises en place pour la bonne marche de l’équité du marché du transport des particuliers (avec certes de nombreux défauts, mais dans une certaine sérénité). Aujourd’hui, soutenir Uber, ce serait comme soutenir l’armée américaine en train d’envahir l’Europe pour en prendre possession. Et il faudrait applaudir ?

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